Le 9 août 1998, au lit de malade dans une
chambre à Bangassou, terrassé par le paludisme qui ne chôme jamais dans cette
partie de la planète, je reçus la communion des mains d’un jeune prêtre. Il s’appelait
Dieudonné Nzapalainga. Il venait tout juste d’être ordonné ce jour par Mgr
Maannicus dans l’esplanade de la cathédrale, avec deux autres jeunes, Modoué et
Mbonzima. Des milliers de personnes avaient assisté à la messe et moi, qui
pourtant avais aidé à préparer les chants, j’avais raté le grand événement.
Aujourd’hui, 18 ans après, Nzapalainga est
devenu cardinal de l’Eglise catholique. Avec 49 ans, il est, de fait, le plus jeune
cardinal du collège. Aussi pourrait-on dire à propos de ce fils de Bangassou ce
que Pierre Corneille dit à propos de Rodrigue : « Aux âmes bien
ainées, la valeur n’attend point le nombre des années ».
A continuation, je publie le texte-témoignage
de Mgr Juan José Aguirre, évêque de Bangassou (traduit de l'espagnol par moi-même) Gaétan.
Mgr Dieudonné, la référence
de Bangui.
Le 19 novembre, Mgr Dieudonné Nzapalainga,
spiritain de 49 ans, deviendra le plus jeune cardinal de tout le collège. Après
3 ans à la tête de l’archidiocèse de Bangui depuis 2009 comme administrateur,
il en devint archevêque le 12 mai 2012 des mains du cardinal Filoni. Cela fait
exactement 4 ans. Aujourd’hui, il est nommé cardinal d’après la liste rendue
publique par le Pape pendant l’Angelus du 9 octobre. Il s’agit ici d’une
carrière fulgurante pour un homme dont la valeur n’est plus à démontrer.
Il y a toujours quelque chose qui impressionne du
visage de celui que tu viens de rencontrer : cheveux crépus, mâchoire
crispée, gestes inconscients, menton prolongé etc. Pour Mgr Nzapalainga, c’est,
sans doute, son visage ovale et son rire aux éclats qui touchent le plus. Dès
que tu le salues, c’est ce qui te frappe en premier lieu. Sa spontanée voix de
stentor ou alors son rire sarcastique, sceptique, blagueur mais toujours
accueillant constituent certainement le secret de sa personnalité. Cet homme
quelque peu rondouillard et débonnaire est né le 14 mars 1967 à Bangassou.
Cinquième dans une famille de 14 enfants, il fréquenta notre petit séminaire,
puis le moyen séminaire. Après, il décida d’entrer dans la congrégation de
Pères du Saint Esprit (les spiritains). Il me disait, il y a quelques jours, qu’il
ne serait rien sans l’éducation reçue de Bangassou. Inutile d’ajouter que
Bangassou se sent très honoré par cette nomination.
J’ai encore en mémoire la journée du 9 août 1998
quand il fut ordonné prêtre dans la tribune de la cathédrale de Bangassou. Je
venais d’être ordonné évêque coadjuteur quelques mois auparavant et j’étais au
côté de l’évêque titulaire, Mgr Maannicus, spiritain aussi, pendant la
cérémonie. Je lui ai imposé les mains en second lieu. Je ne pourrai jamais
oublié la réaction de sa mère en ce moment : Elle s’est mise à esquisser
de manière excessive une de ses danses africaines où on mélange le rythme
des pieds avec le cris de joie provoqué par le complexe mouvement de la gorge
et la bouche frappé doucement par les doigts joints, produisant une sorte de
sons de type uh uh uh…. Sa mère était comblée. Protestante de l’Eglise baptiste,
c’était une femme impressionnante, le genre de grandes mamans derrière chaque
grand homme.
Il commença son ministère sacerdotal à Marseille
dans un centre spiritain des jeunes. Cependant, à 42 ans, il était déjà
candidat pour diriger le diocèse de Bangui alors en profonde crise. Pendant 3
ans, il fut administrateur apostolique
d’un diocèse en faillite technique annoncée qu’il a su soulever, diriger,
conduire et soigner. A partir de ce moment, il n’avait plus peur de se jeter
dans l’eau ! Rien à voir avec le pasteur qui regarde la corruption et la
violence du haut de sa véranda !
L’arrivée des terribles seleka, musulmans
radicalisés qui déferlèrent sur le pays mettant tout sens dessus dessous,
voulant imposer les dictats islamiques pendant 9 mois nous a tous pris au
dépourvu. C’était en mars 2013 quand l’enfer endiablé a failli se renfermer sur
nous. Quelles ne furent la violence déversée et l’amertume encaissée !
Nous avons déjà raconté cet épisode dans d’autres articles. Vers la fin de
2013, une autre rébellion, pire que celle des seleka, les anti-balaka cette
fois-ci nous tomba dessus comme une massue. Un certain 5 décembre, je me suis
caché dans un quartier musulman pendant 24 heures et Mgr Nzapalainga réussit à
convaincre les troupes de l’ONU de venir me chercher. Il m’accueillit chez lui
et là, je rencontrai l’Iman de la Mosquée de Bangui, Kobina Layama, réfugié,
lui aussi, au sein de l’évêché depuis plusieurs mois étant donné que sa tête
avait été mise à pris. En effet, lui et l’archevêque ainsi qu’un pasteur
protestant avaient décidé de crier à tous ceux qui voulaient les entendre
qu’avec la paix, on gagne tout tandis que sans elle, on perd tout ! C’est
ainsi qu’était née la plateforme interreligieuse pour la paix qui prêche depuis
lors la tolérance, le pardon et le respect.
A partir de ce jour, la ville de Bangui (et en
quelque sorte le reste du pays) se divisa en deux : les musulmans d’un
côté et les non musulmans de l’autre. Quelles ne furent des scènes d’horreur et
de crimes contre l’humanité !
Mgr Dieudonné n’a pas contemplé sans rien
faire : Puisant dans sa spiritualité spiritaine, il n’a cessé de crier
haut et fort que tous les musulmans centrafricains ne sont pas seleka et qu’en
conséquence, rien ne justifiait la vengeance aveugle contre eux. Sans relâche,
il a lutté pour la paix, prêché pour la concorde et la tolérance exposant
souvent sa vie. Comme il fallait s’y attendre il a reçu indistinctement les
applaudissements et les insultes mais sans jamais lâcher du lest ou perdre son
habituel sourire. Il fut un pilier de fer dans une maison en plein
effondrement. Il est vrai que nous tous, évêques de Centrafrique, avons lutté
pour maintenir la cohésion sociale. Mais, lui s’y est employé à fond ! La
paix se nourrit du dialogue et cela n’est possible qu’en abandonnant les armes.
Il n’a cessé de montrer qu’il n’y a pas d’armes plus efficaces que s’asseoir et
parler.
Même s’il a toujours gardé son éclat de rire, il a
aussi eu des moments de trouille. Vous vous rappelez sans doute de l’avenue
Koudoukou à Bangui qui divise la communauté musulmane des autres communautés
jusqu’au terrible kilomètre 5 (PK5). Avant l’arrivée du Pape François en
Centrafrique, le 29-30 novembre de l’année passée, ce lieu était une
fourmilière avec des tireurs isolés qui empêchaient aux habitants d’un quartier
d’aller dans un autre. Juste au milieu de l’avenue, il y a la Mosquée centrale
de Bangui, l’unique qui reste des 23 mosquées qui étaient dans la ville. Vous
vous rappelez que le Pape est allé là pour demander le pardon et le respect ;
qu’il est entré dans la mosquée, s’est déchaussé, a prié, a salué tout le monde
et après a invité à l’Imam Tidjani de monter dans la Papamobile. Eh bien, ce
fut un geste providentiel. Les jeunes aux lunettes noires et kalachnikov
décidèrent de laisser la voie libre et les quartiers purent se retrouver encore
une fois grâce au geste du Pape.
Quelques mois après, certains groupes radicaux
installèrent une barrière en vue de fermer une fois de plus l’avenue. Mgr
Nzapalainga (Dieu sait en Sango) réagit de manière immédiate et organisa une
caravane de la paix ; il se positionna au milieu de ces bandes violentes
et se mit à parcourir l’avenue, seul et à pied. Les armes s’arrêtèrent une fois
de plus et plusieurs personnes se mirent derrière lui, reconnaissant par là son
pasteur. L’unique consigne était de ne pas porter les armes. Il pouvait
recevoir une balle mais il avait fait un pari et il l’a gagné.
Pendant la cérémonie pour recevoir la barrette de
cardinal, le Pape dira qu’elle est rouge, aussi rouge que le sang qu’ils
doivent être prêts à verser pour la proclamation de la foi et la paix. Ce jour,
Mgr Dieudonné a risqué sa vie avec courage, mais il a réussi à ouvrir une
avenue qui était fermée, à faire taire les armes et à faire cesser des scènes
de violences inutiles. En cela, il a imité le Pape qui a ouvert les portes de
la cathédrale de Bangui une semaine avant celles de Rome pour que la paix
revienne et que les haines cessent. C’est à Bangui que commença le jubilée de
la miséricorde.
Le mot « cardinal » vient du latin
« cardo » et signifie
« charnière ». Les 228 cardinaux dont 121 électeurs (de moins
de 80 ans) constituent l’articulation qui permet d’ouvrir les portes et les
fenêtres de l’Eglise. Non seulement ils élisent un nouveau pape mais aussi ils
sont un signe de paix au milieu de leur peuple. Moi je pense que derrière
chaque personne choisie par mérites propres, il y a tout un engrenage de
géopolitique qu’il faut analyser minutieusement. Je pense que le Pape n’a pas
élu notre pays pour sa visite parce qu’il est simplement au cœur de l’Afrique
mais parce qu’il est compté parmi les plus pauvres, sans défense, le maillon
plus fragile de la chaîne… lieu privilégié pour servir de passage des
islamistes radicaux qui cherchent à pénétrer au cœur de l’Afrique. Je crois que
l’argent du pétrole et les islamistes radicaux ont déjà fait l’essai au Soudan
mais ils ont été bloqués par les protestants et les catholiques du Soudan du
Sud qui se dressèrent comme une digue limitant le phénomène au niveau du
Darfour qui fait frontière avec le Tchad.
Le Pape n’a choisi ni le Cameroun ni le Congo
Brazzaville ni le Tchad pour réaliser sa visite ; il a préféré la
Centrafrique. Il a même déclaré qu’il se serait jeté par parachute si on lui
empêchait d’atterrir. Maintenant, il
choisit encore un cardinal centrafricain. J’ose imaginer que la prochaine étape
sera de renforcer les diocèses qui touchent aux zones des islamistes en vue de
barrer la route à l’horreur et la violation évidente des droits de l’homme qui
suivraient l’éventuelle arrivée des criminels de Boko Haram ou Isis au cœur de
l’Afrique.
Mgr Juan José Aguirre,
Evêque de Bangassou.
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