viernes, 15 de mayo de 2020

Témoignage glaçant de Mgr Thaddée, évêque de Kagabandoro (Centrafrique)

(Extrait du récit de mission de Mgr. Thaddée KUSY, OFM Évêque de Kaga Bandoro)

LES EVENEMENTS TELS QUE VECUS 

          La visite pastorale de la communauté du village de Golongosso, dans la paroisse Sainte Marie de Ndélé, programmée pour la fin février et le début mars 2020, était la réalisation de mon désir gardé depuis quelques années car c’est vraiment la périphérie et l’extrême nord-ouest de notre territoire diocésain. J’ai quitté Kaga Bandoro le Mercredi des Cendres et le lendemain je suis arrivé à Ndélé, à 330 km de Kaga Bandoro. Vendredi matin nos avons pris la route pour Golongosso, environ 220 km à l’ouest, sur la frontière fluviale du Bahr Aouk avec le Tchad. Mon prédécesseur a pu visiter cette communauté seulement une seule fois durant ses 10 ans à Kaga Bandoro, en 2006 ; ensuite il y a eu la survenue des groupes armés et les habitants ont fui le village pour ne revenir qu’en 2018-2019. Avec le curé, nous y sommes restés du vendredi au lundi. Sur le chemin du retour, nous nous sommes arrêtés encore à Miamèrè, à mi-chemin entre Golongosso et Ndélé, pour une journée. Mardi après-midi, tout heureux de la visite accomplie, avec le curé et ceux qui nous accompagnaient, nous rentrions au centre. Le véhicule avait une panne de la pompe d’injection qui s’aggravait avec quelques kilomètres parcourus. Presque chaque 10-15 kilomètres, le chauffeur mécanicien devait agir pour que le carburant entre convenablement dans le moteur et permette d’avancer. À la barrière gardée par des rebelles de l’ex-Seleka, quelques kilomètres avant la ville, on nous a prévenus qu’il y avait une tension dans les quartiers entre les groupes armés des ethnies Rounga et Goula. 
           Malgré cela nous avons pu bien arriver à la maison, à la paroisse située du côté est de la ville, au pied d’une grande colline rocheuse. Au contact téléphonique avec l’économe diocésain nous avons demandé de nous envoyer, par l’occasion de la venue d’un avion, une nouvelle pièce pour le véhicule. On espérait l’avoir le jeudi. Ceci n’a pas eu lieu et nous avons été obligés de rester à Ndélé. J’habitais dans la maison des sœurs, absentes depuis 2013 ; les deux abbés et le chauffeur passaient la nuit aussi dans cette maison mais ensuite ils sont allés se réfugier chez les conseillers au quartier pour enfin fuir dans les champs avec les autres habitants. Je suis resté seul ; parfois les gardiens venaient. On m’envoyait de la nourriture une fois par jour, tard dans l’après-midi. Le réseau téléphonique ne fonctionnait plus. 
         Le mercredi soir il y a eu les premiers signes forts d’affrontements, des tirs d’armes diverses entre 19 heures et 23 heures, dans les quartiers, pas très loin de chez nous. Le jeudi c’était le calme toute la journée et la nuit. Il semblerait qu’il y a eu des enterrements. Vendredi toute la matinée, depuis 5h45 à 11h, des combats très violents ont eu lieu tout près de la paroisse. Des balles sifflaient près de ma fenêtre. De forts bruits de tirs déchiraient l’air. Dans un moment d’apaisement, après 9h, un petit groupe de Goula a pénétré dans l’enceinte de la maison des sœurs, certains avec des armes automatiques, d’autres avec des couteaux ou bâtons. Ils ripostaient un peu aux autres mais finalement ils se sont retirés, en fuyant par la colline. Avant de partir, l’un d’entre eux a dit : « si Dieu le veut, nous reviendrons ! » Les autres, Rounga, sont arrivés vers 12h30, très violents. Je suis sorti sous la véranda intérieure pour voir et observer. Un homme qui restait en-bas, près du portail, me faisait signe avec son pistolet en main pour que je « dégage » de cet endroit, au coin de la véranda d’où je pouvais voir tout ce qui se passait. Un autre m’a menacé avec son long couteau mais ensuite, je ne sais pas comment et pourquoi, il est venu dans ma chambre, s’est mis à genou et m’a demandé pardon ! L’un deux a essayé de démarrer notre véhicule Land-Cruiser, par les câbles électriques du véhicule qu’il avait sectionnés, sans succès. Je leur ai dit que le véhicule était en panne. Ils ont demandé la clef de contact. J’ai répondu que le chauffeur est parti avec. Comme les portières étaient fermées, bloquées, un muet qui criait beaucoup, avec la crosse de la lance-grenade qu’il avait en mains, a brisé la vitre de la portière arrière, puis j’ai entendu deux coups fins lorsqu’un autre a tiré sur les vitres côté chauffeur (après leur départ j’ai trouvé à cet endroit deux douilles). Des « chefs » demandaient en criant que je leur donne de l’argent ; j’ai expliqué que je n’avais que 30 mille francs (environ 45€) sur moi, pour la tournée, pour mon déplacement dans les villages. Je leur ai donné ce que j’avais, et j’ai remarqué qu’ils n’étaient pas du tout contents. D’autres vidaient les chambres où ils ont trouvé des vêtements appartenant aux jeunes qui y logeaient habituellement pour garder la maison et à un fonctionnaire de l’inspection académique accueilli par les prêtres. Mais personne n’est entré chez moi. Finalement, ils ont poussé le véhicule à l’extérieur pour le ramener dans leur base. Il y avait très peu d’espoir de le récupérer. On m’a dit ensuite qu’ils ont tracté notre Land-Cruiser avec le pick-up du préfet qu’ils avaient volé. J’ai averti la MINUSCA par une note confiée au curé qui est venu me voir samedi matin notamment avec un thermos de café (!) 
          Ce jour-là j’ai bien prié avec les paroles du psaume 33 du milieu du jour : « L’ange du Seigneur campe à l’entour pour libérer ceux qui le craignent ». Dimanche matin, après la messe j’ai commencé à écrire des notes sur saint Joseph car on m’avait demandé de préparer un partage à l’intention des propédeutes à Bangui-Bimbo le 19 mars, jour de leur fête patronale. Après 11h, j’ai entendu des bruits autour de la maison. Je suis sorti cette fois-ci en aube avec la croix sur la poitrine. Ils criaient beaucoup et fort, alors j’ai aussi crié sur eux au moins deux fois. J’ai vu que certains d’entre eux manifestaient un étonnement. L’un d’entre eux s’est approché, a chargé la kalachnikov et me visait en proférant des menaces : « je vais te tuer ! » Je l’ai ignoré et parlais avec les autres. Revenu vers ma chambre j’ai encore protesté car ils me forçaient, me tirant par les bras, pour aller avec eux à 3 leur base. J’ai entendu quelqu’un dire « prisonnier » et cela m’a fait vite comprendre que je pourrais devenir leur otage pour lequel ils demanderaient une rançon ! 
        Un homme de grand taille, peut-être leur chef, que j’ai essayé de bloquer à la porte m’a saisi par le poignet droit et subitement m’a arraché l’anneau épiscopal. Vaines étaient mes suppliques de me la rendre… Il est entré dans ma chambre et a fouillé dans tous les bagages. Il a ouvert la valise-chapelle, je lui en ai expliqué le contenu et il l’a laissée. Il a pris mon sac à dos où j’ai emballé toutes mes affaires. Il a trouvé l’appareil photo, le canif suisse, le téléphone fermé, mes documents avec le passeport. J’ai essayé de lui arracher ces derniers, en demandant de me les rendre ; nous nous sommes un peu chamaillés, bousculés (j’ai vu qu’il a un peu souri lorsque je l’ai repoussé sachant bien que nos forces sont inégales). À ce moment quelqu’un de l’extérieur près de la porte m’a frappé au dos avec une matraque. Enfin le chef a marchandé : « donne-moi ta montre et je te rends les documents ». Sans réfléchir longtemps, j’ai ôté la montre pour récupérer les documents. Il m’a laissé les livres, les vêtements et les sandales, emportant mon sac vide. 
         Les autres ont cassé toutes les portes de quelques bâtiments des sœurs et volé tout ce qu’ils y ont trouvé : des matelas et des draps, des bidons avec notre réserve de gasoil, le sac et les outils de notre chauffeur,… Par miracle, rien n’a été touché dans l’oratoire, dans la chapelle des sœurs, laissée telle qu’elle était au jour du départ des sœurs sénégalaises en 2013. 
        Ceux qui sont allés au presbytère ont cassé les serrures des grilles et des portes, mis à sac les chambres, jetant par terre des objets, des livres et des documents, au réfectoire la vaisselle de l’armoire renversée, cassée, brisée par terre; le groupe électrogène sur roulettes emporté, … J’ai vu tout cela l’après-midi, lorsque les bandits sont partis. 
       Après, déjà à Kaga Bandoro j’ai appris qu’encore ce dimanche soir du 8 mars certains sont revenus, ont cassé toutes les portes de l’église (avec l’intention de les abîmer, puisque pour y entrer il suffisait d’en forcer une seule), et profané des objets du lieu : ils ont renversé l’autel en bois, brisé le tabernacle également en bois, jeté des hosties consacrées par terre, abîmé aussi des objets liturgiques à la sacristie où ils ont trouvé quelques bouteilles de vin de messe ; il semble que quelques-uns sont restés adossés au mur de l’église, complètement ivres… 
        Vers 17 heures, le dimanche, j’ai entendu enfin du bruit qui s’approchait et puis j’ai vu venir un véhicule, celui de la MINUSCA (forces des Nations-Unies) qui venait me chercher. C’est un imam de Ndélé qui guidait les militaires Pakistanais vers la mission catholique. Avec eux je suis allé d’abord dans leur base militaire et ensuite chez des civils, près de l’aérodrome. Ainsi, le même jour, certains musulmans m’ont fait du mal et d’autres musulmans m’ont manifesté un soutien ! 
Le mardi je suis rentré à Kaga Bandoro par hélicoptère de la MINUSCA. 

                                                        +Thaddée KUSY, OFM Évêque de Kaga Bandoro

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